
Nica Libre
25/03/2013
The perfect storm by Sailor Jerry
25/03/2013Rhumessences continue ses rencontres de figures emblématiques du bar français. Après Colin Field, on pousse un peu plus loin l’exploration de la mouvance mixologiste avec Laurent Gréco. Le fondateur de la Bar Academy et du Mojito Lab nous raconte sa love story avec le cocktail le plus consommé au monde.
Rencontrer un bartender, c’est aussi toujours rencontrer un endroit. Qu’il en soit résident ou qu’il l’ait créé, un bartender existe dans son contexte. Avec Laurent Gréco, c’est plusieurs endroits que l’on rencontre. Car Laurent est, comme Colin, plus qu’un barman, un créateur et un entrepreneur infatigable qui allie talent, ambition et modestie, quoi qu’en disent certaines mauvaises langues. Dix ans après la création de la Bar Academy, Laurent a déjà plus d’un concept déposé et son talent s’est exprimé aussi bien dans la création décorative que, surtout, dans les expérimentations moléculaires, sous la bannière Liquid Chef. Ses expériences de petit chimiste, il a dernièrement choisi de leur donner une nouvelle concrétisation en lançant le Bacardi Mojito Lab. Dans ce concept bar, près de la Bastille, il rêve d’enseigner une nouvelle science, dont il vous annonce le nom en riant : « la mojitologie ». Ne rions pas trop vite, car nous risquons de bientôt voir fleurir des Mojito Lab un peu partout sur la planète, de Miami à Pékin. On a bien proposé à Laurent de l’aider à en ouvrir un à Bali, mais il n’en est pas question pour l’instant. Il ne pense pas encore à la retraite, il avance. Rencontre avec un fonceur.
Laurent, c’est quoi la mojitologie ?
La mojitologie, c’est le travail autour d’une recette, en l’occurrence le mojito, à laquelle on va appliquer des techniques de mixologie. La mojitologie, c’est la passion du mojito, sa décomposition et tout le travail qu’il y a autour.
Pourquoi avoir choisi la mojitologie et pas la piña-coladalogie ou la manhattanologie ?
Tout est possible. Mais « manhattanologie », c’est pas joli. « Mojitologie », c’est joli, non ? Plus sérieusement, c’est aussi lié au statut du mojito. Pour moi, le mojito est un cocktail à part. D’abord, il n’existe pas vraiment de trace écrite de la recette originale. Ensuite, si tu vas à Cuba, tu verras qu’il n’y a pas deux bartenders qui servent la même recette et pourtant on parle du cocktail le plus consommé au monde. Le mojito, c’est plus qu’un cocktail, c’est un concept drink. Je le qualifie de concept drink d’abord pour les ingrédients qu’on utilise. Souviens-toi, c’est un des premiers cocktails en France pour lequel on se (re)mettait à utiliser des produits frais : de la menthe fraîche, du citron vert frais… Concept drink également pour son cérémonial : le mojito se prépare devant le client. La gestuelle de l’élaboration du mojito a permis de remettre en avant le travail du barman. Ce seul cocktail a beaucoup fait pour le monde du bar.
A ton sens, d’où est partie la vague du mojito en France. De Paris ?
Oui, peut-être même d’ici, où j’ai installé le Mojito Lab, des quartiers populaires du XIe et du XXe arrondissements… Mais je connais beaucoup d’autres établissements, comme la Calle Ocho, à Bordeaux, où l’on fait des mojitos depuis des décennies.
Certes, mais maintenant tu en trouve dans tous types d’établissements.
Oui, on est en pleine phase de démocratisation du mojito et pas seulement en France, partout dans le monde. Tu peux aller de Tokyo à New York et demander aux barmen ce qu’ils vendent le plus, ils te répondront : « Des mojitos. » A Tokyo, dans les hôtels de luxe comme le Shangri La ou le Hyatt, j’ai vu des cartes entières dédiées au mojito. Du coup, j’ai rencontré beaucoup de personnes qui kiffent notre concept de mojitologie parce que nous sommes des spécialistes confirmés et créatifs du mojito.
Où en es-tu des projets de développement du Mojito Lab ?
Ça explose, on est en phase de signature à Beyrouth, on a trouvé un local à Tel Aviv, on a une demande à New York, une autre à Milan et, hier, on vient de connaître une grande avancée dans un très gros pays avec de sérieux investisseurs. C’est beaucoup de travail pour quelqu’un qui ne manipule pas Powerpoint (rires).
Revenons à la mixologie : qu’en est ta définition ? Qu’est-ce qu’un mixologiste ? Colin Field m’a dit que tout bartender n’est pas mixologiste…
… et tout mixologiste n’est pas bartender non plus (sourire). Le bartender qui aura mon total respect est celui qui pourra justifier d’un parcours dans les écoles hôtelières ou qui aura une longue expérience du bar, car c’est le terrain qui compte avant tout. Mais mixologiste, c’est une autre dimension. Déjà, le nom ouvre des portes. Plus facile d’aller emprunter de l’argent à la banque en tant que mixologiste que barman. Le mixologiste est un créateur. C’est la différence entre un mixologiste et un bartender. Un mixologiste est quelqu’un qui créé et qui ne se contente pas de recycler à l’identique des vielles recettes. Je n’aime pas cette mouvance du cocktail pré-prohibition sous la bannière du « c’était mieux avant ». C’est la créativité qui fait avancer. Je regrette, par exemple, qu’on voie trop peu de décoration (une autre de ses passions, NDLR) dans les recettes publiées dans les magazines.
Laurent, comment arrives-tu à toujours te renouveler ?
Parce que j’ai du talent (rires) ! Non, je fais beaucoup de recherche et de développement. Par exemple, en ce moment, je suis à la recherche de conseils sur les réactions de l’hydrate de potassium. Mais note bien qu’une des clés du succès, c’est que je considère le cocktail comme un spectacle, aussi bien en ce qui concerne le service que la bouche.